24 septembre 2020 au service Vie Associative – Jeudi des langues et des cultures d’Aubervilliers
Il existe de nombreuses idées reçues sur les langues, leur rôle, leur fonctionnement, leurs difficultés… Chacun de nous en a une expérience différente. Venez en discuter avec deux amoureux des langues !
Jeudi 15 octobre 2020 à 18 h 30 aux Laboratoires 41 rue Lécuyer à Aubervilliers – Jeudi des langue et des cultures
Quels mots, quelles expressions vous manquent quand vous passez d’une langue à l’autre? Cette question sera l’occasion d’une conversation avec Yolande Zauberman, artiste et cinéaste dont le dernier film M vient de recevoir le César du meilleur film documentaire et l’écrivaine et chercheuse Paulina Mikol Spiechowicz, autour de leur ouvrage poétique Les Mots qui nous manquent publié en 2016 chez Calmann-Levy. Organisé en glossaire, ce texte dresse un inventaire de mots d’autres langues n’ayant pas d’équivalents en français, que les deux auteures n’ont cessé de collecter, de traduire et de faire traduire. La conversation sera animée par Amélie Mourgue d’Algue, artiste qui explore dans sa pratique artistique les dimensions “d’hospitalité” et la possibilité de repenser le “maternel” dans la langue.La structure du glossaire repose sur la trajectoire dansante de l’association libre dans le champs de l’intime. Prenant cela comme point de départ, la conversation sera également rythmée par la projection de vidéos de Yolande Zauberman et par des interventions des invités et du public.
Yolande Zauberman est une artiste pluridisciplinaire, cinéaste et écrivain qui alterne le documentaire et la fiction, le long- et le court-métrage, l’art vidéo et l’art narratif. Son cinéma investigue les zones d’ombre, brise les interdits, libère la parole et force l’écoute. Il nous confronte à des réalités maintenues sous silence. Ses films ont été sélectionnés au Festival de Cannes, à la Mostra de Venise parmi d’autres. Elle a reçu de nombreux prix pour ses oeuvres dont le Grand Prix du Festival de Paris pour son premier documentaire, Classified People (1987) sur l’apartheid en Afrique du Sud et le César 2020 du meilleur documentaire pour M, son dernier film tourné en yiddish au coeur des communautés juives orthodoxes.
Polyglotte et passionnée de philologie, Paulina Mikol Spiechowicz est poète, romancière, photographe et chercheuse en lettres et histoire de l’art. Son recueil de poèmes plurilingues, Studi sulla notte a été publié en 2011, et adapté en monologue théâtral en 2012. Son recueil de poèmes trilingue, Intimisme a été publié en France en 2012. En 2013, elle a soutenu une thèse de doctorat à l’École Pratique des Hautes Études sur l’analyse de l’espace et de l’architecture dans la littérature et la poésie (Ut architectura poesis. La description architecturale dans le Roland furieux de l’Arioste [1532]).
Amélie Mourgue d’Algue, artiste et écrivaine est la fondatrice du groupe de recherche bureau des heures invisibles. Docteure en Philosophie des pratiques artistiques du Royal College of Art, elle est également diplômée de Central St Martins et Goldsmith College. Dans sa thèse intitulée Belonging in (M)other tongues soutenue en 2018, elle s’appuie sur la fonction poétique et réflexive des mots, de la photographie et du film pour explorer la proposition que le sentiment d’appartenance est rendu possible par le passage à la parole et l’expérience d’être écouté et entendu, conduisant à repenser ce qui fait qu’une langue est maternelle.
Le bureau des heures invisibles est un groupe de recherche artistique dont la pratique collaborative, fondée sur la rencontre et la conversation, est d’imaginer et de réaliser des dispositifs qui confèrent aux situations qu’ils créent ‘le pouvoir de faire penser ensemble’, selon les mots de la philosophe Isabelle Stengers. En ce moment, le b h i interroge ce que sont les conditions de possibilité d’un sentiment d’appartenance plurielle, abordant cette question notamment à travers l’expérience de la pluralité des langues. À ce stade de son développement, le bhi, installé récemment à la Maladrerie à Aubervillier, s’attache à tisser des liens avec ses voisins, habitants du quartier ainsi qu’avec les associations locales tout en proposant ateliers et conférences participatives.
La Maison des Langues et des Cultures d’Aubervilliers recherche son ambassadeur/ambassadrice, d’octobre 2020 à avril 2021, en service civique, 24 heures par semaine.
Une nouvelle chaque matin, au petit-déjeuner… ou avant de se coucher ! Tous les jours dès 8 heures, des comédien.ne.s françai.se.s, allemand.e.s, portugai.se.s … lisent l’une des cent nouvelles du Decameron de Giovanni Boccace écrites il y a près de 700 ans. Miniatures sonores à déguster.
Quatre associations (DULALA, La FCPE 93, Fable-Lab et Dix-milliard-humains) ont construit un lexique pour faciliter les échanges entre les familles et les enseignants.https://lexilala.org/mode-demploi/
à partir des 10 mots suivants : fluide – ondée – mangrove – spitant – engloutir – à vau l’eau – plouf – ruisseler – oasis – aquarelle
Ce matin je vais à l’école et la journée commence en faisant de la peinture. Il y a des pinceaux et de l’aquarelle. J’ai choisi l’aquarelle. On faisait de la peinture dehors. A un moment on a entendu un gros plouf. Tout était ondée et mon dessin était fluide. Il devenait tout ruisselant et une petite oasis s’est créée. Lara MENEGHIN SARDUY, 7 ans (CE1 )
Cracher, dit Etienne. Ça, cracher, c’est formidable. C’est un mot à deux temps. D’abord, cra-, on se racle la gorge, bien profond, bien glaireux, puis, -cher, au moment de l’expulsion, mais cette expulsion n’a plus vraiment d’importance, on ne l’entend presque pas. Ce qui est important, c’est la gorge. C’est complétement différent en anglais, spit, c’est bref, direct, droit au but, on n’entend pas le raclement de gorge, mais le crachat en l’air. Et en italien, sputare. On pourrait croire que ça ressemble à l’anglais, mais c’est pas du tout la même chose, sputare, en deux syllabes, et la seconde, qui est plus longue, porte toute la charge sonore et lexicale. Quand on me dit sputare, je vois le crachat qui arrive, qui s’étale sur le visage de l’autre. Chaque langue a sa vision du monde, c’est presque psychologique. Le français voit l’agresseur, ou l’offensé, le type en colère en tout cas, l’anglais l’action suspendue, en train de se dérouler, l’italien la victime, celui qui fait rire à ses dépens. Comment tu dis cracher en espagnol ?
Comme souvent,
Léonard ne suivait qu’à moitié le discours foisonnant d’Etienne. Il eut à peine
le temps de bredouiller son ignorance qu’Etienne reprenait.
– Regarde
sur ton téléphone. Pour une fois que ça sera utile.
– Escupir,
ça ne me dit rien du tout.
– A juste
titre, c’est un mot qui ne dit rien. On ne peut rien projeter là-dedans. Puis
trois syllabes, c’est trop long, c’est faiblard, ça arrive épuisé. C’est un
crachat de grabataire. Mon préféré, c’est spit, tout un univers en une
syllabe. Ça a quand même un effet grandiose, non ? Imagine un peu
« Et alors, elle le regarde droit dans les yeux et lui spitte à la
gueule » ; « Monsieur le marquis, cessez donc de spitter votre
fiel comme une ondée sur mon tapis persan » ; « Et il lui fit
une réponse bien spittante », etc.
– Oui, mais
c’est pas très pratique si chacun se fait la langue qu’il veut. Comment on peut
se comprendre avec les autres ?
– Attends,
Léo, tu crois qu’une langue, c’est fait pour se comprendre ? Reviens sur
terre : une langue, c’est fait pour s’éclater, pour inventer, pour
attaquer, pour séduire. Mallarmé, tu crois qu’il cherchait à se faire
comprendre ? Et Rimbaud ?
– Oui, mais,
quand même, il y a un minimum. Par exemple, si tu me parles une langue
étrangère, je peux pas te comprendre, et plouf, la conversation s’arrête. Si chacun
parle sa langue, c’est comme la tour de Babel, on arrête tout parce qu’on
devient tous fous.
– Attends,
croire qu’on parle la même langue, c’est une illusion. Toi et moi, on utilise
peut-être les mêmes mots, mais on n’est pas sûr de dire la même chose. Prends
un mot aussi simple que rouge, par exemple. Il y a de fortes chances que,
toi et moi, on ne perçoive pas le rouge de la même façon. D’ailleurs, personne
n’est d’accord quand il s’agit de décrire ce que c’est exactement que le bleu,
le vert, le turquoise, le bleu vert. « Sur cette aquarelle, regardez comme
la mer est d’un splendide vert émeraude » / « Ah, vous appelez
ça émeraude ? Moi, je la vois plutôt turquoise ». C’est toujours
comme ça, non ?
– Tiens,
regarde, spittant, ça existe. En belge, ça veut dire pétillant,
interrompit Léonard, qui gardait un œil sur son téléphone. En France, dans un
resto, si tu demandes de l’eau spittante, on va pas forcément te comprendre.
– Ce que je
veux dire, Léo, c’est que, pour parler du même fluide ruisselant qu’on se
propose d’engloutir avec son repas, on peut dire de l’eau gazeuse, de
l’eau pétillante¸de l’eau spittante, de la San Pe, ou encore
autre chose. On va choisir une façon de s’exprimer plutôt que d’autres, le
serveur va pas forcément te comprendre, mais, comme toujours, il moulinera dans
sa tête et trouvera la solution, ou il te demandera de répéter, en espérant que
tu dises les choses autrement. Si la langue, ça servait à se comprendre, on
n’aurait qu’un mot, pas tout un tas de possibilités.
– Oui, mais
les Belges, ils comprennent le belge, les Marseillais, l’accent de Marseille…
– Arrête,
Léo. D’abord, en Belgique, ils ne parlent pas le belge, mais le français. C’est
la même langue, mon cher, même s’il y a des variations. Tu dirais pas que le
français qu’on parle au Maroc, c’est du marocain, si ? Donc, en Belgique,
on parle le français de Belgique. Et justement, le français de Belgique, c’est
pas le même que le français du Maroc. Et même le français de Marseille, c’est
pas celui d’Aix-en-Provence, toi et moi, on ne parle pas tout à fait la même
langue, même si on est potes et qu’on se comprend à peu près. Le français,
c’est mille et une langues, il y a le français des mangroves, le français des
déserts, celui des oasis, celui des maquis, celui des collines, le français du
16ème et celui des banlieues. On a presque chacun le nôtre.
–
Ecoute-moi, Etienne. Tu parlais de Mallarmé tout à l’heure. Toi qui es
passionné de littérature, tu vas me dire. Quand on prend un alexandrin de Racine,
comme « O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse
ennemie ! »…
– Qui d’ailleurs
est de Corneille…
– Tu n’en
rates pas une. Je l’ai fait exprès, imagine. Donc, quand on prend un alexandrin
célèbre, de Corneille ou de Racine, tout le monde le comprend et reconnaît sa
valeur. Et ça, c’est au fond la charpente, le fonds commun qui fonde la langue
française, d’après toi ?
– Oui, ton
idée me plaît bien, même si je ne suis pas sûr qu’elle marche à tous les coups.
Sorti du contexte, « La fille de Minos et de Pasiphaé »…
– Un autre
alexandrin de Corneille…
– Bien sûr. Ça
ne parle peut-être pas à tous les francophones, continua Etienne. Mais, oui, la
littérature, ça fonde un peu une langue commune. C’est pour ça qu’il faut lire et
encore lire, cultiver la vraie littérature, pour éviter que la langue, la
culture et la civilisation partent à vau l’eau.
– Et faire
des alexandrins.
– Et
peut-être faire des alexandrins, pourquoi pas ? concéda Etienne.
– Tiens, je
me lance. Que penses-tu de :
« Déesse des mangroves, fée des
palétuviers
Reine des oasis, où l’on voit
ruisseler
Lumières d’aquarelle en splendides
ondées
L’argent, l’émeraude, la turquoise
et l’écarlate,
Déesse, donne-nous des pensées plus
spittantes. » ?
Jean-Luc BRETON 20/032020
A Venise (que j’espère retrouver
bientôt même avec tous ses touristes…)
En ces temps improbables, Venise
est désertée par tous ses amoureux qui ne veulent pas mourir. Mais le Grand
Canal a retrouvé son vert céladon digne d’une aquarelle de Canaletto.
Seul le « plouf » enthousiaste
des grands cormorans qui plongent trouble la surface de l’onde : ils pêchent
des poissons qui remontent les canaux. Après cette pêche miraculeuse, ils ruissellent
comme après une ondée et passent des heures, jamais dérangés, à sécher leur
noir plumage juchés sur les bricole ou même sur les paline.
Seul le cri des mouettes à
l’esprit spittant déchire le silence de ce qui est devenu une oasis de
tranquillité. Ainsi, la mouette rieuse et le goéland argenté n’ont plus besoin de
guetter les détritus abandonnés par les touristes qui s’en sont allés à
vau-l’eau : des superbes daurades, mulets ou anguilles redécouvrent les
canaux près des marches des palais.
Devant la Giudecca : les robes fluides de Fortuny ondoient sur les fantômes des belles Vénitiennes que l’on devine dans la brume matinale…
La Sérénissime n’est pas prête d’être
engloutie : elle campe sur ses racines comme les palétuviers dans la
mangrove.
Jocelyne 20/03/2020
A vau l’eau ?!?! Eh mec, c’est pas parce qu’une oasis spitante ruisselle sous une ondée qu’on va se retrouver engloutis sous la mangrove ! T’as vu ta tête ? On te croirait tout juste remonté d’un plouf dans de l’aquarelle fluide ! Anonyme 19/03/2020
C’était il y vingt ans. Au moins. Ou plus. Je ne sais plus compter. J’ai oublié. Parce que les jours ruissellent sans discontinuer, le dernier recouvre celui qui le précédait dans un mouvement apparemment fluide et régulier, mais en réalité si spitant qu’il faut bien s’accrocher pour ne pas se laisser engloutir. C’était il y a à peu près vingt ans, donc. Et j’en avais justement vingt, des ans. Ou presque. Ce jour où j’ai embarqué une petite pirogue sur le Maroni. Rien qu’une petite balade pour la voir, elle, la Fameuse, la Mystérieuse, l’Inquiétante. Celle dont le nom m’avait suffi pour concevoir malgré moi des images floues et mouvantes, depuis toute petite. Je l’ai donc aperçue ce jour-là, enfin, cette « Mangrove ». Je l’ai même touchée. Et de mouvante, elle est venue se figer dans ma tête, directement au cœur, pour une durée indéterminée. Immobile comme elle paraissait l’avoir toujours été. Nulle ondée ne troublait ce jour-là son reflet dans l’eau et n’a jamais plus troublé son reflet dans ma mémoire. Le miroir est intact, et elle attend. Depuis ce jour, à l’abri dans mon imaginaire, elle attend. Patiemment et tranquillement. Majestueusement et Monstrueusement. Elle s’est échappée quelques fois, par le passage secret de mes mains, furtive aquarelle échouée sur un bout de papier, peinture décharnée avec acharnement au coin d’une toile, enchevêtrement de chutes de fils de fer, telle une mâchoire gluante, l’épine dorsale stagnante d’un caïman qui s’ennuie et a besoin de voir le monde. Elle est toujours revenue. Ma mémoire est devenue son oasis comme elle est devenue le mien. Elle continue d’attendre. Attendre que tout parte à vau l’eau ou que quelqu’un finisse par se décider à jeter le caillou qui brisera le miroir le temps d’un instant, dans un plouf magistral permettant que, peut-être, il se passe enfin quelque chose. Avant que tout reprenne son cours normal, lisse, impénétrable et horizontal. Jusqu’à nouvel ordre.
Manon DESMETS18/03/2020
Je voyais la pluie ruisseler sur la mangrove telle une aquarelle, quand un rayon de soleil spitant vint éclabousser un groupe de palmiers, tel un oasis fluide après l’ondée. Je plongeais « Plouf », habits et chaussures partant à vau l’eau, laissant la vase les engloutir.
Cécile DUCHENE18/03/2020
OH qu’il est doux se sentir ruisseler, de devenir une puissante mangrove, riche et vivante. L’énergie est fluide et chaude, comme une ondée d’été. Je deviens ma propre oasis. Mon âme spitante est prête à engloutir ce monde qui part à vau l’eau, puis à le recracher, plouf ! rendu à son humanité… Et nous voyons alors ce monde prendre forme : l’avarice, l’orgueil, la méchanceté disparaissent, les couleurs se délitent, s’adoucissent, prennent la transparence de l’aquarelle, en suspension dans mon milieu aqueux. Maintenant, je peux apercevoir au loin la lune, au-delà de ma frondaison.