Retour sur la rencontre avec Véronique KANOR et Tyler PENNOCK à la MLCA

Le lundi 13 mai 2019, la Maison des Langues et des Cultures d’Aubervilliers a accueilli les poètes Véronique KANOR et Tyler PENNOCK.

Ils se sont rencontrés lors d’une résidence d’écriture et poursuivent ensemble une tournée franco-canadienne organisée par Red Rising Magazine, le Centre for Creative Writing  & Oral Culture de l’Université du Manitoba, l’Alliance Française du Manitoba, la Maison Gabrielle Roy, la Maison de la Poésie de Nantes et les services culturels de l’Ambassade de France au Canada.

Tous deux nourrissent leurs œuvres d’une expérience de la domination et de la dépossession dont ils déclinent chacun un récit poétique ancré dans des géographies et des histoires différentes. This “Wound”, cette blessure, comme l’a nommée Tyler résonne fortement avec ‘la Blesse’ qui désigne en créole martiniquais le traumatisme intergénérationnel de l’aliénation résultant de la traite des Noirs et à l’esclavage. Ce traumatisme est aussi celui de la domination, la dépossession et des tentatives de destruction des cultures autochtones par les gouvernements canadiens, au Québec comme au Canada Britannique.

Cette blessure s’exprime dans la relation à la langue dans laquelle ils sont nés – pour Tyler, la langue cree, pour Véronique, le créole martiniquais – et dans la relation à ce qui est désigné en anglais comme le ‘first language’, la langue première, celle qui prime parce qu’elle est la langue de la domination politique, économique et culturelle. Cette langue première le plus souvent enferme l’autre langue, la ‘maternelle’ dans le domaine de l’intime, quand elle n’est pas purement et simplement étouffée.

Cette oppression, Véronique et Tyler lui donnent corps et voix par leur écriture. La langue, nous rappellent-ils, c’est un corps, un imaginaire, une relation au monde, attachés à une façon de vivre un territoire qui devient alors son pays. Empêcher quelqu’un de parler sa/ses langues, c’est l’amputer d’une partie essentielle de ce qu’il est, c’est le déraciner.

Tyler a évoqué l’entreprise d’acculturation à laquelle le gouvernement canadien a soumis les communautés autochtones et les métis, descendants de ces voyageurs qui en commerçant avec les tribus autochtones, en apprenant les langues Algonquin, en se mariant ‘à la façon de’ –  selon leur coutume – avec des femmes autochtones, avaient contribué à la création d’un mode d’échange plus juste, comme l’a exprimé Véronique.

Il nous a raconté comment les enfants étaient enlevés à leur famille pour leur inculquer dans la violence la langue et la religion du gouvernement dans des écoles résidentielles dont la dernière a été fermée en 1996. Il a également évoqué l’appareil légal et judiciaire restreignant la pratique du don qui structure le fonctionnement des communautés autochtones. Le peuple Cree n’a cependant jamais cessé de parler sa langue. Mais de nombreux Crees ont été dépossédés de cette langue. En 2015, la nation Cree comptait 317 000 membres dont seulement 95 000 parlent la langue Cree.

Véronique apporte à cette résidence son point de vue de poète de l’Outre-Mer. Née en France, elle nous a dit qu’elle porte en elle l’exil et les rêves de ses parents martiniquais. Elle a vécu dans son corps et son esprit le racisme qui découle de l’esclavage, un racisme inscrit dans la langue créole, puisqu’étant celle de sa fratrie qui avait la peau la plus claire, on lui disait qu’elle a la ‘peau sauvée’, une peau échappée du noir, nous a-t-elle dit, dans sa langue poétique.

Véronique comme Tyler écrivent et publient dans leurs langues premières, le français pour Véronique, l’anglais pour Tyler. Une langue qui est la leur autant que la langue de leurs parents parce qu’elle accueille leur passage à la parole et à l’écriture et la transmission de l’expérience de cette blessure qui ne cesse de les appeler à transmettre à qui les écoutent, les cris de ceux que l’on a voulu rendre muets.

Ce qui rend “maternelle” cette langue qui leur est première, c’est la capacité qu’elle montre à accueillir l’autre langue, celle de la famille, de l’histoire ancestrale, de l’intime, du corps physique et émotionnel, à lui ouvrir l’espace pour prendre place. À Aubervilliers, la Maison des Langues et des Cultures offre l’espace physique, émotionnel et psychique à l’existence de prendre toute sa place entre les langues.

Amélie Mourgue d’Algue, 20 mai 2019

Véronique Kanor, poétesse originaire de Martinique vivant entre la Martinique et la Guyane, est notamment l’auteure du recueil Combien de solitudes… publié chez Présence Africaine Éditions en 2013, lauréate du Prix Éthiophile 2018. Spécialiste de pict-dub-poetry (performance scénique accompagnée de vidéos et de textes), elle est également réalisatrice de documentaires et de courts-métrages, et écrit pour le théâtre.

Tyler Pennock, poète Cree et Métis dont la famille vient de Lesser Slave Lake en Alberta, vit à Toronto. Titulaire d’une licence en études autochtones et d’un master en creative writing, il écrit dans de nombreux magazines, et s’apprête à publier son premier recueil de poésie, Bones, chez Brick Books Publishing au printemps 2020. Source : Présence Africaine Éditions

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